Pourquoi viser gros?

Je viens de terminer le livre de Rand Fishkin, Lost and Founder. Excellent livre qui m’a beaucoup rejoint. Surtout qu’il parle en toute transparence des difficultés qu’un entrepreneur rencontre comme les terribles décisions, la dépression, voir trop grand, etc.

Ça me conforte beaucoup dans ma vision des choses. Ça fait longtemps que je suis un disciple de la philosophie Basecamp, d’être un entrepreneur lifestyle plutôt qu’un Elon Musk. Même qu’aujourd’hui mon entreprise est plus “grosse” que ce que j’avais envisagé (je disais même max 10 employés à l’époque!)

Mais, comme tout le monde qui a un peu de succès j’imagine, l’idée d’être plus gros, plus vite m’a souvent taquiné l’esprit. L’attrait financier est généralement la raison principale. Et souvent l’erreur en même temps.

D’autant plus que les mouches nous court après. Chaque mois on reçoit des demandes pour financer notre croissance. Des investisseurs qui recherchent des bons placements et qui veulent multiplier leur mise avec des bonnes compagnies.

Combien tu veux? 2M$? 5? 10? Pas de problème mon pote! Signe avec ton sang et ton âme ici.

Ça ne nous a jamais tenté, heureusement. Mais c’est facile de tomber dans le piège. Comme la banque qui veut te prêter trop d’argent pour une maison trop grosse pour tes moyens.

On cherche quand même la croissance, pour toutes sortes de raisons, bonnes et mauvaises. La croissance pour être en santé et développer un super environnement pour les actionnaires, employés, clients et partenaires c’est une chose. Si c’est pour flatter l’ego et jouer à l’entrepreneur gonflable (tsé, ma shop est plus grosse que la tienne), ç’en est une autre.

Après tout, pourquoi faire plus quand on peut en faire moins? Dans le cas de plusieurs compagnies financées, ce n’est pas un choix. Ils doivent croître à tout prix pour donner un retour intéressant aux investisseurs. Mais dans une boîte auto-financée, entièrement libre de décider, une fois les besoins de base comblés (bonne équipe, profitable, etc), à quoi bon?

Grossir amène de la complexité. Plus de tout. Plus de monde. Plus de gestion. Plus de clients. Plus de demandes. Plus de processus. Plus de règles. Plus de contrôle. Plus de priorités. Plus. Plus. Plus.

Et ça marche? Ça dépend de ce que tu veux. Perso, je ne fais pas plus d’argent qu’avant. La différence est dans le confort. Les problèmes se délèguent plus facilement. Ça fait longtemps que j’ai pas touché à un bug techno le week-end (probablement que la gang techno aime mieux ça de même aussi héhé).

On peut dire aussi que la shop a probablement pris un peu de valeur aussi ce qui n’est pas mauvais pour mes vieux jours. Quoique ça vaudra toujours seulement ce que quelqu’un est prêt à payer. Et encore, si ce quelqu’un existe.

Mais, est-ce mieux qu’avant? Non, c’est simplement différent. Il y a des avantages et inconvénients à chaque situation. Comparons ça à une roulotte à patates frites aux limites de la ville, qui opère 6 mois par année et que le proprio fait plus qu’assez d’argent pour vivre heureux et passer l’hiver en floride. Versus un resto haut de gamme en plein centre-ville, grosse cuisine, grosse salle à manger, grosse cave à vin, gros roulement, grosse marge de crédit. Financièrement, pour le proprio, les deux se valent. Le reste c’est une question de choix personnels.

Du moment que tu acceptes des investisseurs, ton but devient de fournir du rendement, pas de profiter de la vie. Leur rendement, pas le tien. Et ils se servent en premier. Et ce, quand ils ne refusent pas carrément. Ça me renverse ces histoires d’acquisitions qui ne se réalisent pas parce que les investisseurs jugent que ce n’est pas assez. Tout le monde deviendrait millionnaires et indépendants de fortune, mais non, on attendra la prochaine occasion. Si prochaine il y a. Entre-temps, continuez de travailler bande de caves!

Sachant que les histoires qui se terminent par un gros chèque sont rares, passer sur une occasion parce que ce “n’est pas assez” est de la folie.

Sur 1000 entrepreneurs toutes catégories confondues, combien deviendront libres financièrement? En combien de temps? À quels coûts et sacrifices?

Pas beaucoup. Pas souvent.

Rand et son board ont refusé une offre de 25M$ d’Hubspot en 2011 (chapitre 13). On ne compte plus les passages de son livre où il dit regretter. Aujourd’hui Moz vaut quoi? Il ne sait pas. Mais les belles années semblent derrière. S’il est chanceux, il empochera peut-être le même montant qu’il aurait eu 10 ans auparavant. Grosse, grosse erreur.

Rappelle-toi: Take the money and run et un tien vaut mieux que deux tu l’auras.

Raisons de plus pour garder les pieds sur terre. Dix bonnes années de bons profits valent beaucoup plus qu’une chance de faire un gros coup dans 10 ans.

Mais, ça c’est moi. Chacun son truc.

Tiens, ça me semble à propos de ressortir mon histoire préférée:

Au bord de l’eau dans un petit village côtier mexicain, un bateau rentre au port, ramenant plusieurs thons. Un américain complimente le pêcheur mexicain sur la qualité de ses poissons et lui demande combien de temps il lui a fallu pour les capturer :

“Pas très longtemps”, répond le Mexicain.
“Mais alors, pourquoi n’êtes-vous pas resté en mer plus longtemps pour en attraper plus ?” demande l’américain.

Le Mexicain répond que ces quelques poissons suffiront à subvenir aux besoins de sa famille.

L’américain demande alors :
“Mais que faites-vous le reste du temps ?”

“Je fais la grasse matinée, je pêche un peu, je joue avec mes enfants, je fais la sieste avec ma femme. Le soir, je vais au village voir mes amis. Nous buvons du vin et jouons de la guitare. J’ai une vie bien remplie”.

L’américain l’interrompt :
“J’ai un MBA de l’université de Harvard et je peux vous aider. Vous devriez commencer par pêcher plus longtemps. Avec les bénéfices dégagés, vous pourriez acheter un plus gros bateau. Avec l’argent que vous rapporterait ce bateau, vous pourriez en acheter un deuxième et ainsi de suite jusqu’à ce que vous possédiez une flotte de chalutiers. Au lieu de vendre vos poissons à un intermédiaire, vous pourriez négocier directement avec l’usine, et même ouvrir votre propre usine. Vous pourriez alors quitter votre petit village pour Mexico City, Los Angeles, puis peut-être New York, d’où vous dirigeriez toutes vos affaires”.

Le Mexicain demande alors :
“Combien de temps cela prendrait-il ?”
“15 à 20 ans”, répond le banquier américain.
“Et après ?”
“Après, c’est là que ça devient intéressant”, répond l’américain en riant.
“Quand le moment sera venu, vous pourrez introduire votre société en bourse et vous gagnerez des millions”.

“Des millions ? Mais après ?”

“Après, vous pourrez prendre votre retraite, habiter dans un petit village côtier, faire la grasse matinée, jouer avec vos petits-enfants, pêcher un peu, faire la sieste avec votre femme et passer vos soirées à boire et à jouer de la guitare avec vos amis”.

Pas besoin d’en dire plus.