L’étrange chemin de l’acquisition d’une compagnie SaaS

On est rendu là. À un moment donné, la croissance organique à des limites. Doubler les revenus de 500$ à 1000$ c’est facile. De 5M$ à 10M$, c’est une autre game. Ça va prendre des méthodes plus musclées. Une façon classique est de faire l’acquisition d’autres compagnies.

Les plus gros achètent les plus petits. On a la santé, les moyens et les ressources pour le faire alors pourquoi pas? On peut au moins explorer l’idée.

Toutes SaaS florissante attirant les mouches, on a eu notre lot de tire kickers. Ainsi, je sais assez bien comment ça fonctionne. D’autant plus que j’ai moi-même passé dans un processus d’acquisition il y a quelques années.

Devenir l’acheteur plutôt que l’acheté. Je n’ai jamais été dans ce siège. Avouons que c’est rigolo et que ça fait big shot!

Alors, comment on fait ça?

Tout d’abord, racheter une compagnie est un moyen alors ça doit partir d’un objectif. L’objectif ici est de continuer d’avoir une bonne croissance. Donc idéalement une offre complémentaire à notre produit. Sinon on pourrait acheter une boutique spécialisée dans les savonnettes au parfum de lavande, mais pour la synergie on repassera.

Synergie, c’est d’ailleurs un mot clé dans le monde du M&A (buzzword alert: Mergers and Acquisitions). Aussi les spécialistes du M&A sont souvent appelés Corporate Development. Leur job est de trouver et d’acheter des compagnies. Ce qui est différent du Business Development qui eux font des partenariats.

Alors, comment on fait ça, disais-je.

On joue du Google en masse. On fouille G2Crowd, Linkedin, Capterra et compagnie.

Ensuite il faut classer et qualifier.

Dans notre cas, nous avons plusieurs critères pour éliminer une cible potentielle. Par exemple:

Reçu du financement? Out. On veut des boîtes bootstrapped. Déjà que c’est difficile une transaction si en plus il faut avoir dans les pattes des investisseurs qui s’attendent à un rendement de fou? Non.

Plus gros que nous? Out. On a des moyens et accès à du financement, mais on est pas Google non plus.

«Fit» plus ou moins bon? Out. Une acquisition c’est comme un mariage de familles recomposées. L’intégration des cultures est un sérieux défi.

À ce stade, sur 100 cibles potentielles il en restera à peine 7-8.

Et c’est là que le fun commence.

« Salut! On aurait de l’intérêt pour vous acheter, êtes-vous ouverts? »

On découvre ainsi de drôles de personnages.

« Bah ouais, ça nous tente. On fait 2M$ de revenus et on veut 20M$ pour vendre. » Ouin…. À 10x les revenus comme multiple, tu es dans la ligue des compagnies licornes cotées à en bourse avec 500M++ de revenus. On va passer.

« Bah ouais, ça nous tente. On ne fait pas une cenne de revenus, mais on veut au moins 1 million d’euros vu tout le temps qu’on a passé sur la techno ». Désolé, mais sans brevet ou à moins d’avoir une techno difficilement copiable, ta techno vaut un gros zéro. On va passer.

« Bah ouais, ça nous tente, mais on vient de refuser une offre de 40M USD$, j’imagine que ça nous disqualifie? » Heeeee oui, effectivement. Ceux là font plus de profits en USD$ qu’on fait de revenus en CAD$. Vraiment cool, mais on va passer!

« Bah ouais, ça nous tente ». Et silence radio. Et hop il réapparaît avait de disparaître à nouveau. Ça fait pas très sérieux. On va passer.

« Bah ouais, ça nous tente, mais on vient de vendre à une autre compagnie ». Zut, mauvais timing, mais félicitations pour ton rachat!

« Bah ouais, ça nous tente, mais comme on est une petite équipe qui fait une tonne de fric sans rien devoir à personne, t’as besoin de peser fort sur le crayon pour qu’on considère ton offre ». Wow, chapeau! Ça, ça me plait comme modèle de shop! Mais aucune chance qu’on paie un gros premium. On va passer.

« Bah ouais ça nous tente, mais on te dira rien et on va parler à nos avocats, le FBI et le Pape avant. ». Ouin… je veux bien comprendre un peu de prudence avant de dévoiler de l’info confidentielle, mais on doit être capable d’avancer aussi. On va passer.

Beaucoup d’amateurs dans le lot qui n’ont jamais vendu et/ou qui se prennent pour Zuckerberg. Ok j’ai déjà été arrogant moi aussi et je l’ai regretté. Si un acheteur ne te rachète pas alors il en trouvera un autre plus intéressé et motivé à vendre.

Par ailleurs, c’est rare qu’un acheteur revient. À moins d’avoir quelque chose d’unique ou hautement stratégique. Le monde est plein de compétiteurs et d’alternatives à ta compagnie, sans oublier l’option de ne rien faire. Comme dirait Tyler dans Fight Club, « You are not special. You’re not a beautiful and unique snowflake. ». Une fois l’occasion passée, elle ne revient pas.

Dans un même ordre d’idée, si quelqu’un t’offre XXXXX$ aujourd’hui alors penses-y sérieusement avant de refuser. Tu ne voudrais pas le regretter l’année prochaine parce que ta compagnie vaut maintenant X$ pour telle ou telle raison. Surtout en techno.

Mes deux adages préférés dans une telle situation:

  • Take the money and run.
  • Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.

D’ailleurs, ça vaut combien ta compagnie? Ça vaut ce qu’un acheteur est prêt à payer tout simplement. Malheureusement. les entrepreneurs ont souvent tendance à surévaluer leur entreprise.

Petite parenthèse, les actions de petites compagnies privées sont qualifiées d’illiquides ou non liquides. Pourquoi? Parce que c’est archi-difficile de les vendre, les acheteurs étant très rares. Contrairement aux actions cotées en bourse où c’est facile de vendre. Penses-y la prochaine fois qu’un acheteur cogne à ta porte.

En terminant, après un mois à fouiller, éplucher, analyser et démarcher, je remets l’idée en question. Ça va prendre un méchant bon deal pour compenser la complexité et les risques d’une transaction, fort probablement à l’étranger en plus: Les lois, les langues, les cultures, la distance, la quantité d’intervenants et leurs attentes toutes différentes, etc. Et par dessus tout… les bonnes compagnies sont hors de prix.

Bref, je ne m’attendais pas à ce que ça soit facile, mais ça va prendre plus de patience que j’imaginais. À suivre!