Je suis en train de lire Outlier de Malcolm Gladwell (qui a écrit l’excellent Tipping Point). Dès l’intro il prétend que le succès n’est pas seulement une question d’efforts et de talent. Mais aussi de chance. Comme la chance d’être né au bon endroit au bon moment.
À titre d’exemple, il regarde les alignements des deux équipes de hockey qui s’affrontent au championnat Canadien. Un truc drôle, la majorité des joueurs sont nés à l’hiver. Un peu au printemps, presqu’aucun à l’automne.
Pourquoi? Et bien, la date cut-off pour faire les ligues mineures est le 1er janvier. Par conséquent, le jeune de 7-8-9-10 ans qui est né le 3 janvier sera habituellement plus physiquement développé et plus mature que son ami né 12 mois plus tard, le 20 décembre.
Ainsi, plus développé et plus mature, il fera les meilleures équipes, jouera avec les meilleurs joueurs, sera invité aux meilleurs programmes de développement, se trouvant bon il sera plus motivé, ses parents voyant du talent investiront davantage, etc, etc.
Tout ça parce qu’il est né en janvier au lieu de décembre. Je vois la même chose au baseball de mon gars ou dans le patinage de vitesse. Les “plus fort” par catégorie d’âge sont souvent un an plus vieux que mes enfants parce que leur date de fête est à l’été alors que la date cut-off est le 1er juillet…
Tout ça m’a amené à me poser la question: Si je suis rendu ici dans ma vie, c’est quoi les éléments de chance qui expliquent mon succès outre mon “talent” et les efforts que j’ai mis?
Être né dans le bon pays
Évidemment, naître en occident dans une famille blanche de classe moyenne aisée, ça aide déjà beaucoup. Être né au Yémen dans une guerre civile, dans un pays pauvre, sous-développé sans véritable réseau d’éducation, aucune doute que mes chances auraient été grandement diminuées.
Être né des bons parents
Ma mère était infirmière. Je me rappelle que je lisais ses livres d’anatomie quand j’étais jeune, ça me fascinait. Mon père lui, était ingénieur chimique qui était toujours en train de lire. Ma curiosité scientifique tombe pas loin du pommier je dirais. L’éducation a toujours été importante pour eux. Ils ont fait un sacrifice pour envoyer leurs quatre enfants à l’école privée, parce que ça valait l’investissement.
Un ordinateur à la maison en 1982
1982? J’avais 5 ans. Mon père à acheté un ordinateur pour son travail. Je prenais le livre de Basic en anglais et je bizounnais des programmes. Rien de bien avancé. Je me rappelle avoir développé une avion en gros pixels qui avançait dans l’écran. Mine de rien, à peu près personne savait ce qu’était un ordinateur à cette époque et moi j’expérimentais sur ce nouveau bidule…
Les ordinateurs au quotidien
Les années suivantes, mon père à changé d’ordinateur pour se tenir à jour. Mon grand frère à eu le sien. Mon autre frère aussi. Je passais beaucoup de temps sur leurs machines à jouer à des jeux, taponner les BBS, briser, réparer, foutre le bordel et me faire tabasser par mon frère qui était en maudit. Il y a 30 ans, un ordinateur était aussi normal pour moi qu’un iPhone pour un jeune d’aujourd’hui. Au secondaire, j’avais seulement quelques amis qui avaient un ordinateur à la maison…
Internet en 1993
Mon grand frère étant à l’université, il pouvait se connecter à ce nouveau truc appelé Internet de la maison. Internet? Wow, je pouvais fouiller de l’info un peu partout sur la planète avec mon modem 2400bps. J’étais un fan du site de la NASA où downloader une image de quelques Ko prenait une heure…
Avec tout ça, j’ai été en contact au tout début d’Internet et du Web. J’étais fasciné et je passais des centaines d’heures à comprendre comment ça marche.
La question qui change tout en 1996
Cherchant à faire la piasse facile, j’ai essayé quelques aventures d’affaires bidons, comme vendre du vieux stock de revues soft-porno avec des annonces dans les journaux. C’était amusant, mais pas tellement accomplissant. Je cherchais donc de nouvelles idées et j’en ai parlé à mon père. “Pourquoi tu ne fais pas un truc sur Internet?” qu’il me dit. Ben oui, tu parles d’une bonne idée toé!
Avec mon ami on a lancé un service de conception de logo ainsi qu’un répertoire d’image en ligne (on faisait nos propres gifs animés!). Tu aurais dû voir nos faces quand nous avons reçu un chèque par la poste d’un belge qui nous avait acheté un logo en ligne. Notre première expérience de commerce électronique internationale… en 1996!
On a essayé de partir notre boîte de conception de site Web, mais ça n’a pas marché. On ne se faisait pas prendre au sérieux… 1996, le mot Internet se disait max 5 fois par année dans les médias.
Oricom Internet en 1997
Puis en voulant offrir mes services de consultant Internet (j’avais 20 ans!), j’écrivais à tout ce qui avait une adresse email. Ça n’a pas donné grand chose… En fait je n’ai reçu qu’une réponse. Et elle était négative. Le gars m’a dit “Je n’ai pas besoin de tes services, mais j’ai une job à t’offrir”.
Et voilà, pour les 3 années suivantes j’ai travaillé pour un des premiers fournisseurs Internet. J’étais le premier employé. Je faisais autant du service client que m’occuper des serveurs et de toute l’infrastructure. Nul besoin de dire que j’ai appris à la vitesse lumière dans ces années là. J’avais Internet dans le sang.
WebD et 4adate en 1997-2000
Chez Oricom je restais souvent après la fermeture pour continuer de taponner, essayer des trucs. J’ai fait planter des serveurs plusieurs fois et heureusement, ils ne m’ont jamais mis dehors! J’ai eu des excellents patrons qui m’appréciaient et qui me laissaient faire. Ça, c’est un point majeur.
Si bien qu’en m’intéressant sur les nouveaux kossins comme des compteurs de page web, j’ai décidé de lancer mon propre projet pour apprendre plus sérieusement la programmation. J’ai fait des outils statistiques rudimentaires, des forums, des livre d’or, des sondages… Les utilisateurs affluaient par milliers sans aucun marketing!
Puis, étant un jeune célibataire, je suis tombé sur RéseauContact. Tu parles d’une bonne idée toé! J’ai décidé de faire mon propre site de rencontres non seulement pour rencontrer des filles, mais aussi pour continuer à développer des projets. 90 000 utilisateurs en moins de 6 mois…!
Folie Internet de 1999-2000
Sans le savoir, mon ami et moi avions entre les mains deux sites qui valaient une fortune. Ça n’a pas été long que le téléphone s’est mis à sonné pour nous acheter. On avait 22-23 ans et on faisait une tonne de fric. On a vendu nos sites en 2000 pour une somme digne d’une loterie. À 23 ans… J’avais déjà plus d’expérience en business Internet que beaucoup de monde. Mon premier “Exit” avant même de savoir c’est quoi un “Exit”.
Le bon associé
Faut que je souligne que mon associé de cet époque était aussi mon meilleur ami. On faisait tous ensemble, du bike, de la musique, le party, de la business. La chimie dans l’équipe, c’est clairement le facteur de succès le plus important. Et à l’inverse, de conflits.
À partir de là, c’est de l’histoire “normale”. Je suis devenu l’entrepreneur Internet que je suis aujourd’hui. J’ai parti d’autres projets, j’en ai raté, j’en ai vendu, j’ai fait de l’argent, j’en ai perdu. Tout ça m’a amené à voir les SaaS au bon moment et faire mon plus beau succès à date dans ma carrière: DashThis. Tout ça démarré d’un truc que j’ai bâti tout seul dans mon sous-sol.
Aujourd’hui, l’avenir est tout aussi intéressant pour moi. C’est clair que je vais continuer à lancer des projets, d’être un early adopter, de construire, de profiter des prochaines tendances technos. L’intelligence artificielle va changer une tonne de trucs et j’ai bien l’intention de faire parti du bateau.
Donc oui j’ai travaillé fort. Oui j’ai des aptitudes. Oui j’ai du talent. Mais on peut dire que je suis un produit de mon environnement. Être né ailleurs, dans une autre famille ou quelques années plus tôt ou plus tard et ça aurait été totalement différent. J’ai su profiter des opportunités avec succès, ce qui m’a mené à d’autres opportunités et ainsi de suite. Mais à la base, il y a une bonne dose de chance dans mon histoire.
Bref, c’est amusant comme exercice. Quand on regarde d’où on vient, ça explique bien des choses, pourquoi on est rendu là et où on s’en va. Pour moi, clairement, mon avenir est encore dans les projets techno Internet. Et mes meilleures années sont à venir. Exciting!