Le Battuto et la compagnie du futur

COVID-19 oblige, pas le choix de réfléchir à où ça s’en va tout ça, remettre des choses en question, penser autrement. En particulier, le monde des affaires et l’entrepreneuriat qui sont mon pain, mon beurre et mon fond de retraite.

Lundi j’ai encore vécu l’effet Battuto, ce petit resto italien de Québec. Fermé comme tous les restos, ils font cependant des repas take-out. La prise de réservation pour le week-end prochain a débuté à 12:00 pile et tout était plein vers 12:04.

4 minutes. Complet.

Pourtant, il y a beaucoup de concurrence dans la restauration, ils ne sont pas les seuls à offrir le take-out. Mais vider leur inventaire en si peu de temps? Avouons qu’ils sont une classe à part.

Mais rien d’étonnant non plus dans leur cas. En temps normal les réservations se prennent 3 mois à l’avance. Ça, c’est quand on réussit à avoir une place. Et encore, il ne faut pas être regardant sur l’heure, la journée où l’endroit où on sera assis.

En plus, ce n’est pas le resto le plus cheapo en ville. On sort de là généralement avec une bonne facture.

Si on résume, c’est difficile d’avoir accès à leur offre tellement la demande est élevée. Le tout en faisant zéro marketing ni promotion. Et en chargeant la totale.

Fou hein? La plupart tuerait pour avoir une fraction de leur succès.

Leur cas vient souvent alimenter mes réflexions sur la compagnie du futur, de quoi auront l’air les entreprises dans 5-10-15 ans.

Quelques éléments:

Ils sont petits par choix. C’est typiquement une business lifestyle. Ils font ce qu’ils aiment à leur rythme et conditions. Ils pourraient multiplier leur capacité de production, diversifier leur offre, ouvrir des franchises, développer des produits en épicerie, donc augmenter leurs revenus et faire une tonne de fric. Mais non, ils ne veulent pas. Délibérément. Tsé, plus gros veut aussi dire plus de problèmes.

Il y a autre chose que l’argent dans la vie: Faire une tonne de fric vient avec généralement des sacrifices. Ça dépend du monde et de leurs ambitions, mais pour certains, être entièrement libre, faire assez d’argent pour ne manquer de rien, pouvoir profiter de la vie, voir ses enfants grandir c’est bien suffisant. Perso, c’est mon cas. On se rappelle l’histoire du pêcheur mexicain?

Ils misent sur la qualité et l’expérience. Pas le choix, pour connaître ce genre de succès ils doivent être ce que les autres ne sont pas. La qualité de la bouffe, l’expérience, la proximité des clients avec le staff et les cuistots… Quand tu sors de là, ce n’est pas comme sortir d’un autre resto. On veut y revenir et on en parle à nos amis.

Ils choisissent leurs collègues: Une petite équipe créative, performante et efficace. Avec une bonne chimie et une mission à laquelle tout le monde adhère. Ça donne des résultats phénoménaux. Et en plus, moins de chance de côtoyer des imbéciles toxiques.

Merde aux vanity metrics: S’il y a une métrique vaniteuse dans le monde des affaires c’est bien le nombre d’employés. C’est l’équivalent business de la grosseur de son zizi. C’est la première chose qu’on se fait demander quand on dit qu’on est en affaires. Si tu dis 5, pfff…on te regarde de haut. Mais si tu dis 250… houlalà! Ça marche tes affaires mon pote! Et pourtant, des shops de 5-10 arrivent à faire plus de profit que des shops de 100. Bref, le nombre d’employés ne veut absolument rien dire sur la qualité, la santé et le succès d’une entreprise. À ma connaissance, ils ne sont que 4 au Battuto…

Les locaux extravagants: L’autre aspect vaniteux d’une entreprise c’est les locaux / bureaux. Le Battuto a un minuscule local dans un coin pas des plus chics en ville. Un quartier ouvrier / bohème je dirais. Le loyer ne doit pas être trop cher et visiblement ils n’ont pas mis des millions en déco. Combien d’entreprises paient présentement pour des locaux trop grands qui sont vides? C’est ce que je déteste des baux locatifs… pas moyen de moduler en fonction des besoins. Si tu as aménagé pour 300 personnes, mais que finalement tu es 150 alors too bad, tu es pogné avec. Et c’est un avantage de travailler remote, c’est archi flexible et pratiquement gratuit.

Tiens, parlant de travail remote. Combien d’entreprises vont avoir cette réflexion prochainement? Pourquoi payer autant pour un loyer alors qu’une partie ou la totalité des employés peut travailler à distance à temps partiel ou à temps plein? Pourquoi mettre des limites géographiques au bassin de main d’oeuvre? Pourquoi forcer tout le monde à venir dans un local si c’est pour se mettre des écouteurs sur la tête et communiquer par messagerie de toute façon? Est-ce que le budget alloué aux bureaux pourrait être plus avantageux ailleurs? Par exemple pour revoir et améliorer l’aspect social d’être en équipe? Perso, je rêve encore de faire des retraites d’équipe à Lisbonne avec du vino et des sardines grillées!

Dans le même ordre d’idée, pourquoi avoir des employés temps plein? Pourquoi engager à temps plein et à long terme est la solution habituellement envisagée sans considérer les alternatives? Peut-on être plus efficace en revoyant les manières de faire? Peut-on avoir une équipe “core” à temps plein, mais externaliser (outsourcer) tout ce qui est secondaire? Pourquoi ne pas miser sur l’agilité et la flexibilité d’une petite équipe tout en utilisant les ressources disponibles partout sur le planète? La “gig economy” est florissante depuis plusieurs années… est-ce que ça ne serait pas plus rentable, efficace et moins contraignant d’utiliser ces travailleurs?

Et aussi, recruter et entraîner un nouvel employé est très dispendieux. Quand on y pense, le taux de tâches “core” qui sont réellement à haute valeur ajoutée et uniques à une entreprise, c’est quoi, 20%? On parle surtout de vision, créativité, stratégie, processus… le reste, ça pourrait être fait à l’externe? Comme Boeing qui conçoit les avions (forte valeur ajoutée), mais a un tas de fournisseurs pour un shitload de pièces, dont certaines super importantes comme les moteurs ou les trains d’atterrissage. Pourrait-on avoir une mini équipe marketing archi créative et mandater une, deux, trois ou même 10 agences pour la réalisation selon les besoins du moment?

Puis combien d’entreprises doivent “restructurer”, c’est-à-dire mettre à pied des dizaines, voire des centaines d’employés, parce que les dirigeants décident de prendre une nouvelle direction? L’overhead est un sérieux problème quand c’est trop lourd. Personne n’aime ça mettre du monde à la porte… Avoir une agilité et une flexibilité à ce niveau permettrait-il d’éviter ce genre de situation?

Payer à la demande ou sur livraison: J’ai personnellement fait des paiements en avance pour mes prochaines vacances pré-COVID-19. Aujourd’hui c’est un bon fuck d’obtenir un remboursement, même via les assurances censées nous assurer… Je vais regarder plus attentivement les conditions d’annulation et de remboursement la prochaine fois. Idéalement, je vais payer sur réception du service. Comme un bail ou les autres engagements à long terme, ça va prendre des bonnes clauses de sorties. La flexibilité et la capacité de pouvoir gérer son cash avec le moins de contraintes possibles est un réel avantage compétitif.

Et ultimement, dans un monde où le nouveau devient vieux en moins de 10 ans, l’agilité ne serait pas l’avantage compétitif par excellence? Le dilemme de l’innovateur c’est ça: Avoir du succès parce qu’on a innové et fait différent, mais ensuite cesser d’innover et de faire différent pour ne pas nuire à ce qui nous a donné du succès. What got you here won’t get you there comme ils disent. Pour survivre longtemps il faut être capable de se réinventer, casser ce qui fonctionne aujourd’hui pour construire ce qui va fonctionner demain. Une entreprise a tout intérêt à mettre en place un système propice à l’innovation continue.

Bref, avec ce foutu COVID-19 il y a du changement dans l’air, c’est évident. Mais c’est une bonne chose! Le monde s’est toujours construit et renouvelé suite à des événements comme ça. Aucune doute que dans quelques années on dira “Te rappelles-tu avant la COVID comment on faisait ça? C’était dont ben ridicule! Hahaha!”.

La bonne nouvelle est que les jeunes, la nouvelle génération de travailleurs, sont plus ouverts à revoir les façons de faire et à questionner les dogmes de business. Ils sont moins “on fait ça d’même, parce qu’on a toujours fait ça d’même” que les vieux, ce qui est un gros plus.

Tu as le goût de jaser du futur du monde des affaires et d’échanger des idées débiles qui vont à l’encontre du conventionnel? C’est un sujet que j’adore alors gêne toi pas!

P.s.: Oui, j’ai réussi à commander mon take-out Battuto pour ce week-end 🙂