Comment dépenser un million sans s’en rendre compte

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L’histoire commence avec un petit problème bien simple. Un client veut faire telle patente avec DashThis. Ce n’est pas possible dans l’état actuel des choses, mais comme c’est le gros bon sens et qu’on aime pas dire non à un client à priori, on va voir ce qu’on peut faire.

Mais c’est quoi ce petit problème Steph?

Et bien, c’est d’être capable d’éditer un widget une fois qu’il est créé. Ça semble stupide et trivial me direz-vous? Ça l’est. Ajouter, éditer, supprimer sont des fonctions de base élémentaires dans n’importe quel outil.

Pas pour tout le monde faut croire.

Pour faire ça simple, notre ancien responsable des technos était contre l’idée de permettre l’édition, peu importe que le client trouve ça aussi sensé que de se peigner avec une cuillère à soupe. Donc, l’édition d’un widget a viré en débat interne plutôt inutile.

Comme Steve Jobs qui nous disait qu’on tient notre iPhone de la mauvaise façon…

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« Éditer un ±£¢$/”@ de widget sibole, c’est tellement évident que les clients nous demandent où est cette fonction! » Disais-je. « Pire, on doit leur répondre le plus sérieusement du monde que la bonne façon est de supprimer et recréer! ».

Ça pis le serveur au restaurant qui nous dit qu’on doit boire notre bière dans une assiette parce qu’il garde ses verres pour décorer les toilettes, c’est pas mal pareil.

Ok, donc on arrive à un compromis: on va rendre le widget éditable, mais on va revoir l’architecture du produit de fond en comble.

Boom.

Je ne le savais pas encore, mais le compteur du million dépensé venait de se déclencher.

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Pourtant, modifier le code pour permettre l’édition d’un widget, ça ne doit pas être sorcier? On est capable d’ajouter et de supprimer, à la limite on combine les deux opérations et ça donne un semblant d’édition non?

Alors voilà. Aussi sournoisement qu’un enfoiré de chat qui nous griffe après l’avoir flatté, nous voilà le bras pris dans le tordeur des “tant qu’à y être”.

Tant qu’à y être, on va revoir le modules de donnés.
Tant qu’à y être, on va optimiser ça.
Tant qu’à y être, on va refaire çi.
Tant qu’à y être, on va ajouter ça.
Tant qu’à y être…

Mon objectif est de livrer de quoi pour l’automne, 3 mois plus tard.

Oups, rendus à l’automne, y’a que dalle de fait. De l’exploration, de l’expérimentation, des tests, des idées. Beaucoup de venteux, mais zéro concret. Ça importait peu que j’aille fait des promesses à des clients.

On se refixe un objectif pour 3 mois plus tard, à l’hiver. Rendus à l’hiver, devinez quoi? Non seulement, y’a rien de concret, mais on me dit « Si c’était un projet au gouvernement, ça serait une équipe de 60 personnes pour 3 ans. »

Ouin, ben t’as 3 mois et 3 personnes mon pote.

Visiblement le marketing et les technos n’étaient pas sur la même longueur d’ondes.

Changement du plan. Révision des objectifs. Réalignement des priorités. Inventaires des besoins des clients. Qualification des projets en must-haves et nice-to-haves.

Aussi changement à la direction, le responsable des technos n’était visiblement pas l’homme de la situation pour réaliser ma vision. Clairement, on ne s’entendait pas sur le pourquoi et le comment.

On est une p’tite shop agile, pas un truc paragouvernemental syndiqué aussi flexible que l’iceberg qui a coulé le titanic.

Mine de rien, à ce stade nous sommes déjà rendus à un an et toujours rien de sorti. Pire, toujours rien en voie d’être sorti!

Re-pire, on a jeté des mois de travail aux poubelles pour remettre des choses comme elles l’étaient avant.

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Le projet continue. Mais on est encore incapable de livrer du concret dans les temps. Cette fois, c’est purement de ma faute car j’ai mis en charge des personnes qui n’auraient pas dû l’être. Et je n’ai pas fait les suivis adéquats.

Donc étant la source du problème, je démissionne de mon poste et je me remplace par plus compétent. On fait du ménage, on revoit les méthodes de travail, on embauche une mini-van de nouvelles personnes.

Maintenant le bateau a repris le bon chemin et le projet avance rondement. On prévoit lancer la nouvelle version au début de l’été.

Ça fera deux ans.

Deux ans pour ce qui n’était à la base que la possibilité de modifier un widget.

Non seulement on aura un widget qu’on peut modifier, mais avec en prime un nouveau branding, un site web complètement revu, un outil recréé from scratch.

Faut aussi dire que la version actuelle était basée sur ma preuve de concept d’il y a 5 ans. Et comme j’ai eu la bonne idée de construire avec de la broche et du tape pour tester le modèle d’affaires, on savait qu’il faudrait reconstruire tôt ou tard.

Résultat? Quand on calcule tout ça, on arrive au million de dollars investi dans le projet.

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Bien sûr, on est ultra confiants que ce million investi va en rapporter 10 fois plus, mais quand même, un million alors que l’idée de base n’était que de pouvoir éditer un widget…

Bref, dans notre cas on peut absorber un tel investissement sans trop de dégât, mais dans d’autres circonstances, un investissement mal planifié avec trop d’erreurs peut définitivement être fatal.

L’avantage à ne pas faire un rond c’est qu’on ne peut pas en gaspiller. L’inconvénient à en faire c’est de se rappeller comment on gérait serré quand on en avait pas. Mais bon, c’est à classer dans la catégorie des beaux problèmes.

Alors mon pote, méfie toi des projets trop simples, des écarts de vision à la direction et penses-y à deux fois avant de t’embarquer dans des « tant qu’à y être ».